Regroupement familial

L'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme proclame le droit de toute personne au respect “de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”.
Cet article s'inspire principalement de l'article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme rédigée en 1945 dans le cadre de l'Organisation des Nations unies qui nous dit que :
« Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

Ces deux textes ont servit de bases pour la consécration du droit au regroupement familial dans l’Union européenne.


Mais qu’est ce que le regroupement familial ?

En langage juridique, lorsque des mariages et des familles sont séparés par des frontières nationales, on parle de regroupement familial, à savoir la possibilité donnée à des membres d’une famille de se regrouper dans un même pays de séjour.

Qui peut revendiquer ce droit ?

Les ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne ou de l’AELE qui jouissent du droit à la libre circulation des personnes peuvent revendiquer ce droit pour certains membres de la famille. Le principe de la libre circulation des personnes, prévu initialement pour des motifs économiques, contient donc également des éléments d’ordre social et la personne exerçant ce droit à la libre circulation n’est ainsi pas réduite à un simple statut de main d’œuvre.

Toutefois le droit au regroupement familial est et a été emprunt de vives tensions. En effet le droit de la personne concernée à une vie privée et une vie de famille s’oppose à l’intérêt de l’Etat à exercer une politique d’immigration restrictive.
C’est pourquoi la directive 2004/38 applicable depuis le 1er mai 2006 est venue proposer un régime juridique unique en matière d’accès au territoire et de séjour, pour les citoyens de l’Union européenne et les membres de leur famille, quelle que soit leur nationalité en vue de limiter les tensions et faire en sorte de créer un espace homogène de législation en la matière.
 La directive 2004/38 va ainsi opérer une synthèse de la jurisprudence et des instruments antérieurs (elle remplace 8 directives antérieures). Elle vise à codifier les statuts existants et à créer un statut unique axé sur le concept de citoyenneté, qui permette de dépasser une approche sectorielle et fragmentaire du droit de circuler et de séjourner librement. Ainsi, elle unifie dans une certaine mesure les statuts existants autour de la catégorie des citoyens de l’UE.

Mais qui sont les membres de la famille qui sont visés par la directive 2004/38  et donc qui bénéficie du droit au regroupement familial?

La directive 2004/38 garantit des droits aux membres de la famille du citoyen de l’union quelle que soit leur nationalité. Elle reconnaît des droits au noyau dur du cercle familial : Les conjoints, ascendant et descendants direct.
Pourtant les différents textes sectoriels protégeaient déjà ce noyau dur. La principale innovation de la directive tient dans l’insertion des partenariats (concubins, pacs). Jusqu’à la directive 2004/38, seul le conjoint était envisagé et la Cour de Justice de la Communauté Européenne avait refusé dans l’arrêt Reed du 17 Avril 1986 d’interpréter largement la notion de conjoint pour y inclure les couples non mariés. Les couples non mariés sont exclus de la catégorie des conjoints comme nous l’indique le considérant 15 de l’arrêt. De plus elle interdit les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle.

Il faut souligner que dans le projet de directive 2004/38 le Parlement européen avait proposé d’associer à la notion de conjoint, l’expression “quel que soit son sexe”. Cette proposition a été repoussée par la Commission et le Conseil en soutenant que “L’harmonisation des conditions de séjour des citoyens ne peut avoir pour résultat d’imposer à certains Etats membres la reconnaissance des mariages homosexuels”
Ainsi nous verrons les deux catégories de membres de famille qui peuvent bénéficier du droit au regroupement familial à savoir le Partenaire marié (I) et les ascendant et descendant direct( II).

I) Le partenaire marié

Les membres de droit visés par la directive sont les suivants :

-Le conjoint au sens strict, c’est-à-dire dans le cadre d’un couple marié et hétérosexuel comme nous venons de le voir par le biais de l‘arrêt ReedLa Commission a préféré exclure le partenaire de même sexe de la notion de conjoint et l’aborder sous l’angle de la catégorie des relations durables.

De plus la notion de conjoint exclut le mariage de complaisance tel que prévu à l’article 35 de la directive qui vise l’abus de droit ou la fraude. Notons que la Cour n’a pas considéré comme constitutif d’abus de droit le fait que le citoyen UE se déplace dans l’Union afin de bénéficier par la suite du regroupement familial dans son pays d’origine comme nous le montre l‘arrêt Singh de la Cour de Justice de la Communauté Européenne du 7 juillet 1992 et Akrich du 23 Septembre 2003. Ainsi, la « Belgie route » ne pose pas de problème au regard du droit communautaire si le mariage est réel.

En outre divers arrêts de la cour de justice de la communauté européenne nous montrent que, peu importe la régularité du séjour et l’accès au territoire d’un Etat, dès lors qu’il y a eu accès, que le mariage est légal et qu’on est dans le champ d’application territorial du droit européen. Pour la cour c’est la vie familiale qui prime comme nous le souligne les arrêts Carpenter du 11 Juillet 2002 dans lequel la Cour de justice affirme que les droits d'entrée et de séjour sont entendus très largement puisque la situation familiale va primer sur la légalité de l'établissement mais aussi l’arrêt Metock du 9 Octobre 2008 dans lequel la Cour autorise le regroupement familial, alors même que le conjoint a résidé illégalement dans un Etat membre.

Enfin il n’y a pas d’obligation de vie commune comme nous l’indique l'arrêt Singh du 7 Juillet 1992 “en effet le conjoint de nationalité indienne d'un travailleur britannique en instance de divorce, continue à tirer des droits des dispositions communautaires, tant que le lien conjugal n'est pas dissous, puisqu'il n'y a pas d'exigence de cohabitation”.


-Le partenaire enregistré équivalent à mariage dans le respect de la législation nationale a le droit au regroupement familial. Ce partenariat vise les couples vivant en union libre et qui se soumettent à un régime spécial comportant un faisceau de droits et d’obligations. Il faut donc un acte d’une autorité publique et la directive oblige que cette formalité soit accomplie dans un pays de l’Union. Les termes de la directive laissent un très large pouvoir d’appréciation à l’Etat membre concerné et la question se pose notamment de la définition du caractère « équivalent à mariage » ainsi que du « respect des conditions légales pertinentes de l’Etat d’accueil ». Il est certain que le caractère équivalent à mariage exclut d’autres relations que celles de couple. Il semble que via la deuxième condition, la Commission visait à empêcher les discriminations à rebours.

Ainsi les conjoints et partenaire peuvent bénéficier du droit au regroupement familial mais aussi les ascendants et descendant directs comme nous le verrons à présent.


II) Les ascendants et descendants directs

Dans cette partie nous étudierons trois points à savoir les ascendants directs, les descendants directs puis les autres membres de la famille.

- Les descendants directs

La directive vise les descendants directs du couple ou de l’un d’eux, de moins de 21 ans ou à charge. Il faut noter qu’à cet égard, la définition de membre de famille semble plus restrictive qu’avant dans la directive1612/68 car elle ne vise les descendants qu’au premier degré, donc les enfants et pas les petits enfants. Il faut aussi noter que les descendants du partenaire non enregistré ont été écartés.
Toutefois le droit dérivé et la jurisprudence avait déjà consacré cette solution comme nous le montre l’arrêt Deak de la Cour de Justice de la Communauté Européenne du 21 Avril 1988, dans lequel la cour nous dit “que tous les enfants du couple sont visés, et peu importe leur nationalité”.

- Les ascendants directs à charge

La directive vise les ascendants directs du couple ou de l’un d’eux à charge. Ici aussi, la famille est réduite dans la mesure où on ne vise que les ascendants au 1er degré, donc les parents à charge. Sur la notion à charge, on peut rappeler que cette situation résulte d’une situation de fait caractérisée par le fait que le soutien matériel du membre de la famille est assuré par le citoyen de l’Union. Il faut souligner qu’aucun montant de référence n’est fixé. D'ailleurs, les ascendants du partenaire non enregistré ont été écartés. En ce qui concerne les ascendants, il faut tenir compte de la jurisprudence Chen du 25 Octobre 2002 qui permet l’octroi du séjour à l’ascendant d’un enfant Mineur citoyen de l’Union européenne dont le parent en a la charge au nom de l’effet utiles du droit de séjour de l’enfant.
Désormais il faut distinguer le droit de séjour de l’ascendant selon que l’enfant est mineur ou majeur.
S'il est majeur ou émancipé : les ascendants ne tirent de droit de la directive que s’ils sont à charge.
S'il est Mineur : si ce sont les parents qui exercent la garde de l’enfant ils pourront revendiquer un droit de séjour à la lumière de l’arrêt Chen.

- Les membres facultativement reconnus

La directive vise tout autre membre de famille si : 

Il était à charge dans le pays de provenance (indépendamment de ce pays) ou il fait partie du ménage du citoyen UE ou le citoyen UE doit s’en occuper impérativement et personnellement pour des raisons de santé. Cette dernière hypothèse vise à compenser la restriction de la famille limitée aux ascendants à charge.

Mais aussi le partenaire avec lequel il a une relation durable dûment attestée, conformément à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui garantit le droit à la vie privée. A cet égard, la directive vise toute forme de partenariat et donc aussi les unions libres ou les partenariats qui ne remplissent pas les conditions vues ci-dessus. La preuve du caractère durable de la relation peut être rapportée par toute voie de droit mais la Commission renvoie au droit de la preuve de chaque Etat.

Notons que même si ces membres de famille sont facultativement reconnus, leur situation individuelle doit faire l’objet d’un examen approfondi et d’une décision motivée.

Sources utilisées:

→ Le périmètre de la famille en droit social communautaire, JM Ernoux, revue droit de la famille décembre 2005
→ Droit d'entrée et de séjour des membres de la famille d'un travailleur communautaire retournant dans son pays d'origine, Joel Cavallini, JCP 2008, commentaire 1132