Les situations purement internes

« Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. »

Pour qu'un citoyen européen tombe dans le champ d'application des règles relatives à la libre circulation des personnes il doit "avoir circulé",il faut qu'il y ait un "élément d'extranéité".En effet lorsque ce critère n'est pas rempli on parle de situation purement interne, c'est à dire une situation juridique où le ressortissant d'un Etat membre est strictement soumis aux règles nationales de son État et excluant ainsi toute application des règles de la libre circulation des personnes.
Ainsi la présence d'un "élément d'extranéité" va déterminer la présence ou non d'une situation purement interne et donc par conséquent l'application ou l'exclusion des règles de la libre circulation des personnes.
Le but du jeu de la construction européenne est d'élargir au maximum l'application de son droit en réduisant autant que possible les SPI, vécues comme de véritables obstacles. La cour de justice des Communautés européennes (CJCE) puis de l'Union européenne (CJUE) a donc participé à un travail intensif depuis les années 1990 dans l'interprétation des notions de SPI et d'élément d'extranéité a travers sa jurisprudence.
Cette problématique des SPI a été traitée progressivement par la CJCE qui a vu sa jurisprudence évoluer vers une interprétation large de l'élément d'extranéité afin d'élargir le champ d'application du droit de la libre circulation des personnes:

1) Dans un premier temps, la CJCE refusait de connaître des SPI, préférant les renvoyer aux États Membres et à la Cour Européenne des Droits de l' Homme.

Dans l'arrêt Uecker et Jacquet du 5 juin 1997, affaire C-64/96 et C-65/96, la Cour renvoie aux États Membres les SPI au motif que "la citoyenneté de l'Union n'a pas pour effet d'étendre le champ d'application du traité à des SPI n'ayant aucun rattachement au droit communautaire." Dès lors, les discriminations à rebours devaient être résolues dans le cadre des systèmes juridiques étatiques.
Dans l'arrêt Koua Poirrez du 16 décembre 1992, affaire C-206/91, la Cour décline sa compétence au motif qu'il s'agit d'une SPI propre à la France.L'intéressé n'a jamais fait usage du droit de libre circulation.

2) Par la suite, la Cour est venue modérer ses positions en tentant de tempérer les exclusions des SPI.
Elle a mis en place différents concepts juridiques comme celui du déplacement virtuel et du déplacement fictif.
Dans l'arrêt Carpenter du 11 Juillet 2002, le déplacement virtuel est consacré. La CJCE conclut à l'absence de SPI lorsque des prestations de service depuis le Royaume-Uni sont effectuées envers des prestataires établis dans d'autres EM.
Dans l'arrêt Garcia Avello du 2 Octobre 2003, le déplacement fictif est utilisé. Dans cette affaire, des ressortissants n'ont pas fait usage de leur droit à la libre circulation mais cela ne suffit pas à caractériser une SPI. En effet, un rattachement au droit communautaire est possible dès lors que " des enfants sont ressortissants d'un État Membre  séjournant légalement sur le territoire d'un autre État Membre."
L'arrêt Chen rendu le 19 Octobre 2004 confirmera cette tendance puisque le non usage de la libre circulation ne suffit pas à caractériser la situation de purement interne.
Cependant, toutes les situations internes ne sont pas forcement dépourvues de tout lien avec le droit communautaire. Il faut alors distinguer la question de savoir si la situation est interne de celle de savoir si elle a un lien avec le droit communautaire. Ce système de passerelle ne semble donc pas opportun.
C'est le problème soulevé par l'avocat général Sharpson dans l'arrêt Gouvernement français gouvernement Wallon du 1er avril 2008, affaire C-212/06.

3) La Cour a finalement pris en compte les SPI même si des balbutiements vont apparaître dès 2011.

Dans l'arrêt Zambrano du 8 mars 2011, affaire C-34/09. En l'espèce des ressortissants colombiens avec un enfant demandent l'asile en Belgique, cette demande est refusée. Mr Zambrano a tout de même un CDI
et sa femme a accouché d'un second enfant en Belgique qui a donc la nationalité belge.
La Cour ne peut pas appliquer la directive 2004/38 car les requérants n'ont pas circulé sur le territoire de l'Union. Elle oriente donc sa réflexion autour du concept de citoyenneté européenne. Elle affirme que l'article 20 TFUE s'oppose à ce qu'un État Membre refuse à un ressortissant d'Etat tiers qui assume la charge de
ses enfants, citoyens de l'Union dans l'État Membre de résidence dont ils ont la nationalité. Il s'oppose au refus d'un État de délivrer un permis de travail.
Cela priverait les enfants, citoyens de l'UE de la jouissance effective de l'essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l'UE.
Il est donc possible de déclencher le droit de l'Union en présence d'une SPI dès lors qu'est en danger la jouissance effective de l'essentiel des droits attachés au statut de citoyen.

Pour autant la Cour semble revenir en arrière dans l'arrêt Mac Carthy du 5 mai 2011, affaire C-434/09.
Cela va engendrer une certaine confusion au sujet de l'essentiel des droits attachés au statut de citoyen européen.
En l'espèce, les décision nationales ne vont pas à l'encontre de la jouissance effective des droits de la requérante car Mme McCarthy n'est pas en danger pour la Cour. On peut en conclure que la Cour fait de ce critère une application casuistique.

La Cour semble adopter un mode d'emploi et éclaircir cette situation dans l'arrêt Dereci du 15 novembre 2011, affaire C-256/11.
En l'espèce plusieurs ressortissants d'Etats tiers souhaitent rejoindre un membre de leur famille citoyen de l'Union, résidant en Autriche et ayant la nationalité autrichienne. Les citoyens de l'Union concernés n'ont jamais fait usage de leur droit de libre circulation et ne dépendent pas des requérants au principal pour leur subsistance.
La Cour va affirmer que la directive 2004/38 est inapplicable à des membres de la famille de citoyens de l'Union qui, n'ayant jamais fait usage de leur droit de libre circulation, ne peuvent avoir la qualité de bénéficiaire au sens de cette directive.
De plus, le critère relatif à la privation de l'essentiel des droits conférés par le statut de citoyen dégagé dans l'arrêt Zambrano ne s'applique que lorsque le "citoyen de l'Union se voit obligé de quitter le territoire, non seulement de l'Etat membre dont il est ressortissant, mais également de l'Union pris dans son ensemble ". Le fait qu'il soit souhaitable à un citoyen de l'Union qu'un membre de sa famille ressortissant d'un pays tiers le rejoigne pour maintenir l'unité familiale n'est pas suffisant.

Pour clore sur les SPI, le critère de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par le statut de citoyen est précisé : en réalité il semble qu'il faille un degré de dépendance élevé du citoyen de l'Union par rapport au ressortissant tiers ( cela peut être le cas pour les enfants par exemple mais pas pour le conjoint).
De plus, la Cour renvoie aux EM la question du droit fondamental à une vie privée et familiale: pour autant, il semble peu probable que les juridictions nationales saisissent cette opportunité d'étendre l'application du droit de l'Union quand on connaît la volonté des EM à préserver leur souveraineté sur les questions d'immigration.

Sources utilisées:

- http://jmieurope.typepad.com/jmi/2011/05/situation-purement-interne-sur-quel-pied-danser.html
-http://www.lexisnexis.fr/droit-document/article/europe/02-2011/062_PS_EUR_EUR1102CM00062.htm#.U34UgXZFodU