Libre circulation des travailleurs

 Propos introductifs:

              Avec le traité de Rome en 1957 instaurant la communauté économique européenne, l'Union Européenne avait une dimension exclusivement économique. De cette dimension économique découle un principe fondateur de l'Union Européenne, la libre circulation, cette dernière revêtant essentiellement deux aspects au niveau économique : le droit d'établissement, et la liberté de circulation des travailleurs. C'est cette notion de travailleur qui nous intéresse ici.
Dès le début de l'Union Européenne la notion de travailleur présente un intérêt ; en effet c'est l'une des seules façons d'obtenir un droit de séjour dans un État membre. Une fois le droit de séjour obtenu, le travailleur sera logé à la même enseigne que tout autre citoyen de l'Union Européenne.
Néanmoins, il n'est pas facile d'obtenir la qualification de travailleur communautaire pour bénéficier de la libre circulation et des multiples droits reconnus par l'Union Européenne. C'est la jurisprudence communautaire qui s'est chargée de définir les contours de cette notion et de déterminer les différents droits liés à ce statut.

Référence à la notion à travers les textes européens:      

             La notion de travailleur est prévue au niveau des textes du droit de l'Union Européenne, et cela à un double niveau. C'est le cas au niveau du droit primaire de l'Union mais aussi au niveau du droit dérivé.
Concernant le droit primaire, c'est le traité de Rome de 1957, traité instituant la Communauté économique Européenne, qui a pour la première fois fait référence à cette notion, et cela à travers son article 39. Le traité de Lisbonne de 2007 reprenant le traité CE, fait lui aussi référence à cette notion en son article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne. La notion de travailleur est prévue dans le titre IV du TFUE relatif à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, et cela dans son chapitre 1, intitulé « les travailleurs ».

L'article 45 TFUE prévoit:

«1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union.

2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs
des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de
sécurité publique et de santé publique:
a) de répondre à des emplois effectivement offerts,
b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,
c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux,
d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements établis par la Commission, sur
le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi.

4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration
publique. »

Il est nécessaire de rappeler que le traité de Rome de 1957 crée avant tout une Europe économique ; il est donc logique que la notion de travailleur, notion exclusivement économique et liée au travail, soit la première prévue par ce traité. Cette notion est associée à celle de libre circulation, principe fondateur et pilier de l'Union Européenne actuelle, qui avait elle aussi une signification économique à ses débuts puisqu'elle concernait donc principalement la notion de travailleur.

Le droit dérivé de l'Union Européenne est lui aussi venu préciser les contours de la notion de travailleur communautaire, principalement à travers deux textes : la directive 2004/38 et le règlement 492/2011.
La directive 2004/38 a été adoptée conjointement par le Parlement Européen et le Conseil le 29 Avril 2004. Elle traite le droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Cette directive modifie le règlement CEE n°1612/68 et abroge un grand nombre de directives. Cette directive ne traite pas à proprement parler et essentiellement des travailleurs communautaires mais gère les citoyens européens en général. Elle est relative au principe fondamental de libre circulation, et a donc pour objet de dépasser l'approche sectorielle concernant ce droit en visant la totalité des citoyens sans faire de distinctions.
Le règlement n°492/2011 du Parlement Européen et du Conseil datant du 5 Avril 2011 vise quant à lui de façon directe les travailleurs communautaires. En effet ce règlement est relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union Européenne, et prévoit la non discrimination des travailleurs.


Référence à la notion à travers la jurisprudence communautaire:

            Il est possible d'affirmer que la notion de travailleur communautaire a fait l'objet d'une jurisprudence conséquente de la part de la Cour de Justice Européenne. En effet, les textes européens prévoient ce statut de travailleur mais ne donnent en aucun cas la définition de cette notion. C'est donc à la Cour de Justice qu'est revenu ce travail. C'est à travers deux arrêts que la Cour va définir cette notion : l’arrêt Lawrie Blum de 1986 et l’arrêt Levin de 1982.
L’arrêt Levin rendu en 1982 est l'un des premiers à aborder de manière spécifique la notion de travailleur.  Dans cette affaire, la Cour a expliqué les concepts de «travailleur» et d'«activité salariée», ils définissent des libertés fondamentales et ne doivent pas être interprétés de façon restrictive. La réglementation sur la libre circulation des travailleurs concerne aussi les personnes qui exercent ou voudraient exercer une activité salariée à temps partiel. Les règles relatives à la libre circulation des travailleurs ne couvrent que l'exercice d'activités réelles et effectives.  
Il ressort donc de cette jurisprudence que la notion même de travailleur doit être interprétée largement pour favoriser les échanges économiques. C'est une jurisprudence en accord avec les objectifs communautaires de l'époque, qui étaient avant tout économique. Le juge communautaire a souhaité étendre à un maximum de personnes le statut de travailleur et les droits qui en découlent.
C'est néanmoins l’arrêt Lawrie Blum de 1986 qui va déterminer précisément la notion de travailleur en dégageant trois critères pour la satisfaire. La caractéristique essentielle de la notion de relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération.
En d'autres termes, est travailleur la personne exerçant une activité économique pendant un certain temps, sous l'autorité d'une autre personne et moyennant une contrepartie. Il faut donc pour acquérir le statut de travailleur : une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination.
Concernant la prestation, d'après la jurisprudence communautaire Levin de 1982 : « Constitue une prestation de travail, l’exercice d’activités réelles effectives à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires ». De plus, d'après l’arrêt Bettray de 1989, il est nécessaire que l'activité économique soit réelle et effective. La jurisprudence Ninni-Orasche de 2003 ajoute que la rémunération et la durée de la prestation importent peu.
Concernant la rémunération, il faut entendre par rémunération le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tout autre avantage payé directement ou indirectement, en espèces ou en nature par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. La rémunération peut aussi être versée en nature. Néanmoins, d'après la jurisprudence Kempf de 1986, la rémunération n'est pas prise en compte. Les avantages en nature sont suffisants pour constituer une rémunération, cela ressort de la jurisprudence Trojani de 2004.
Concernant le lien de subordination, il est apprécié « in concreto », d'après la jurisprudence « Trojani » la Cour a recours à un faisceau d'indices pour établir ce lien de subordination.

Enfin il est nécessaire d'ajouter que la Cour de Justice a exclu les activités ayant une fonction exclusivement sociale pour accéder au statut de travailleur, cela ressort des jurisprudences Bettray de 1989 et Mehmet-Birden de 1998.

La Cour de Justice s'est montrée généreuse concernant l'attribution du statut de travailleur puisqu'elle a décidé de l'élargir aux demandeurs d'emploi. Cela signifie que les demandeurs d'emploi se voient reconnaître les mêmes droits et libertés que les travailleurs. C'est la jurisprudence communautaire qui a défini cette notion de demandeur d'emploi, cela à travers deux arrêts.
Tout d'abord l’arrêt Unger rendu en 1964,dans lequel la Cour énonce que le travailleur protégé par les différentes dispositions communautaires n’est pas exclusivement celui qui détient un emploi actuel. En d'autres termes, la Cour accepte une activité potentielle pour reconnaître le statut de travailleur.
Ensuite cela a été complété par la jurisprudence Antonissen de 1991, cette jurisprudence a affirmé « le droit pour les ressortissants communautaires de se déplacer pour rechercher un emploi dans un autre État membre et le droit d’y séjourner ». Cela permet ainsi à des personnes en recherche d’emploi de bénéficier des droits reconnus aux travailleurs. D'après l'article 45 TFUE, la recherche de l’emploi doit se faire dans un délai raisonnable, d'après la jurisprudence « Antonissen » il est possible de déduire que 6 mois est un délai raisonnable pour la Cour. Il est cependant nécessaire de démontrer qu’on cherche activement un emploi et qu’on a de réelles chances d’être engagé au-delà de ce délai.

Les droits liés au statut de travailleur communautaire:

Le statut de travailleur communautaire permet à la personne qui se voit attribuer ce statut de bénéficier de l'intégralité des droits et libertés communautaires. Le principal droit reconnu est celui de libre circulation. La libre circulation des travailleurs impose le respect des principes de non discrimination et d'égalité de traitement. C'est ce qui ressort de la jurisprudence communautaire Grzelczyk de 2001. Cette affaire concernait le droit de séjour et la Cour a estimé que l'on ne peut retirer un droit de séjour donné au motif que la personne concernée n'a plus de ressources suffisantes pour vivres. La Cour estime que la personne ne doit pas devenir une charge « déraisonnable » pour l'état d'accueil, mais la personne concernée peut être une charge « raisonnable », surtout si les besoins sont temporaires.
Dans son arrêt Hartmann de 2007, la Cour de Justice a associé la notion de travailleurs frontaliers à celle de travailleurs en reconnaissant les mêmes droits et libertés pour ces deux notions.
Les travailleurs frontaliers peuvent se prévaloir des mêmes dispositions que celle prévues pour les travailleurs. En effet la libre circulation droit être reconnue «indifféremment aux travailleurs ‘permanents’, saisonniers, frontaliers ou qui exercent leur activité à l’occasion d’une prestation de services».
Enfin concernant la reconnaissance des avantages sociaux pour les travailleurs, c'est la jurisprudence Hendrix de 2007 qui traite de cela. La notion d’avantage social recouvre tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison, principalement, de leur qualité de travailleurs ou du simple fait qu’ils ont leur résidence ordinaire sur le territoire national, et dont l’extension aux travailleurs migrants apparaît, dès lors, comme de nature à faciliter leur mobilité à l’intérieur de la Communauté.

Sources utilisées:

- http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=953&langId=fr&intPageId=1221
-http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/marche-interieur/synthese/la-libre-circulation-des-personnes.html