La réserve d'ordre public

Propos introductifs :

            C'est une notion compliquée à définir car elle possède de multiples facettes et ne fait pas l'objet d'un consensus au niveau européen. Cela s'explique par le fait que les dangers et les besoins dans les différentes sociétés européennes ne sont pas les mêmes. Donc cette notion d'ordre public diverge d'une société à une autre. Par exemple, en France cette notion d'ordre public est le plus souvent utilisée en matière de police administrative. C'est cependant une notion qui revêt une force particulière et contraignante qui se traduit par les mesures d’ordre public. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a eu  l’occasion de reconnaître cette notion d’ordre public, et l'a reconnue comme étant un des principes propres à une société démocratique, aux cotés de la prééminence du droit ou de la dignité de la personne humaine par exemple. La Cour EDH évoque cette notion d'ordre public à travers son arrêt de 1995, Loizidou contre Turquie. Elle évoque cependant dans cet arrêt un ordre public européen, général et commun.
Néanmoins au niveau du droit de l'Union Européenne, le juge fait une approche plus minutieuse de cette notion. Il n'influence que très peu la définition d'ordre public, du fait de l'absence de définition européenne. Ce qui ne l’empêche pas d'intervenir sur l'utilisation de cette notion de la part des autorités étatiques.


L'absence de définition commune de la notion d'ordre public :

            Le droit européen et la Cour de justice ont une influence limitée sur la définition et la notion même d'ordre public. C'est limité car il n'y a pas vraiment de définition au niveau européen : les autorités européennes ne participent pas, par le biais de mesures, au maintien de l'ordre public en principe. Cela s'explique par le fait que l'ordre public relève de la seule compétence des États membres. Cela, la Cour de Justice le rappelle dans un arrêt Commission contre France datant de 1997, décision importante rendue à propos de « la guerre des fraises ». Il y a donc une coopération, une aide entre les États membres et l'Union Européenne à propos de l'ordre public.
L'article 33 du Traité sur l'Union Européenne dit que cette coopération ne doit pas porter atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
De plus, les polices spéciales sont aussi de la compétence des Etats membres. Cependant il existe une relative communautarisation de celle ci, signifiant que ces missions de police spéciale sont prévues par des règlement :
-     -Règlement de 2004 concernant les médicaments
-     -Règlement de 2002 concernant la sécurité alimentaire :
-     -Règlement de 2002 concernant la sécurité maritime avec le contrôle des bateaux
Les institutions communautaires peuvent dès lors prendre des normes dans le but d'encadrer ces polices spéciales et de ce fait l'Union européenne va adopter des législations qui vont conditionner ces polices spéciales. C'est notamment le cas pour la police des étrangers.
Donc, même si la notion d'ordre public est propre à chaque Etat Membre, l'Union participe à la création d'un ordre public collectif dans certaines matières, restant tout de même limitées.
Les traités confirment cette référence à la notion de l'ordre public tout en ne la définissant pas. C'est le cas concernant la libre circulation des marchandises avec l'article 30 TCE qui évoque le maintien d'obstacle pour un motif d'ordre public. Cette absence de définition s'explique par le fait que ce concept d'ordre public varie d'un État à un autre. Donc c'est la définition nationale qui est reconnue par la Cour de justice ; cela ressort de l’arrêt Van Duyn de 1974.
Il existe aussi un second constat concernant cette notion d'ordre public, c'est la reconnaissance de différents éléments de l'ordre public en interne. Concernant le cas français, l'ordre public comporte plusieurs éléments à propos de la police municipale. Ce sont la sécurité, la salubrité, la tranquillité publique, et un quatrième élément rajouté, la moralité publique, à travers l'idée de défense de la dignité. Ce dernier élément peut être observé à travers l’arrêt du Conseil d’État de 2008, Commune de Morsang sur orge. De plus, en matière de restriction des échanges, l'article 30 TCE invoque des raisons de moralité publique, d'ordre public ou encore de sécurité publique.
Dans la même lignée, la dignité de la personne humaine et la protection de la santé peuvent  justifier, dans certains cas, les restrictions à la libre circulation des marchandises ; cela ressort de l’arrêt Oméga rendu par la Cour de justice en 2004.


L'influence du juge européen sur l'utilisation de la notion d'ordre public :

            La Cour de justice va influencer l'utilisation et l'application de la notion d'ordre public. Cela ressort principalement de l’arrêt Van Duyn de 1974, dans lequel le juge européen dit que l'ordre public doit être entendu de façon stricte, sans toutefois donner de définition, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres. Autrement dit, cette jurisprudence pose le principe que même s'il y a une absence de définition commune sur la notion, il faut bien que les juridictions de l'Union puissent apprécier et contrôler les utilisations de la notion d'ordre public par les autorités nationales. Dans la plupart des cas, la Cour de Justice admet que les arguments évoqués par les États membres relèvent de l'ordre public. Par contre, dans des situations précises, comme dans l’arrêt Van Duyn de 1974, la Cour vérifie si il y a vraiment atteinte à l'ordre public. Elle va pour cela vérifier et contrôler en allant même parfois jusqu'à effectuer un contrôle de proportionnalité, c'est le cas dans l’arrêt rendu par la Cour de Justice Adoui de 1982, dans lequel le juge de l'Union a affirmé qu'il était impossible de considérer comme contraire à l'ordre public le seul comportement des non nationaux.
De ce fait, il est possible de voir que la primauté du droit de l'Union limite l'étendue de l'ordre public, non pas par sa définition, mais par son application.
Un autre point mérite d’être soulevé concernant cette notion d'ordre public. C'est le fait que l'on peut aboutir à l'élargissement de ce concept ; c'est notamment le cas dans l'affaire de « la guerre des fraises », l’arrêt rendu en 1997 par la Cour de Justice. Dans cette affaire, des manifestants agriculteurs confisquent des cageots de fraises espagnoles et cela porte atteinte au principe de libre circulation des marchandises. La France aurait du intervenir car il y a violation du droit de l'Union. Elle a donc été condamnée par la CJCE en 1997 par l'arrêt "Commission contre France".
La Cour de justice a fait une appréciation stricte de la notion d'ordre public et en regardant la jurisprudence communautaire, il est possible de s'apercevoir que dans l'appréciation faite, le juge de l'Union est beaucoup plus sévère que le juge national. Il fait une appréciation in concreto, par exemple, en matière de libre circulation des prestations. Pour les restrictions il faut un motif d'ordre public mais le juge précise quel type d'atteinte faut-il : « il faut une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société » ; cela ressort de l’arrêt rendu par la Cour de justice de 1977 Bouchereau. Le juge regarde donc les faits in concreto et le degré d'atteinte à l'ordre public. Dans l’arrêt Metock de 2008, la Cour de justice a estimé que  des faits de trouble à l’ordre public peuvent justifier une amende mais une interdiction d’entrée sur le territoire serait disproportionnée.
La conception française de l'ordre public peut être parfois plus large que celle retenue habituellement par le juge de l'Union comme c'est le cas des monopoles de jeux de hasard ou de paris sportifs. Dans ces domaines là, la France a une législation au nom de l'ordre public particulière, puisque l’État se réserve le monopole des jeux de hasards dont il tire des bénéfices.
Ces législations sont donc peu conformes au droit de l'Union, et dans l'optique ou la Cour de Justice serait saisie, la France serait certainement condamnée pour non respect des principes de l'Union.

Sources utilisées:

- http://www.memoireonline.com/12/05/29/m_memoire-mecanismes-internationaux-protection-effective-droits-de-l-homme21.html
-http://lapetitejuriste.blog.fr/2013/04/02/la-liberte-de-circulation-des-travailleurs-au-sein-de-l-union-europeenne-15287899/