Droits liés à la libre circulation des personnes : les avantages sociaux
L'égalité de traitement des travailleurs migrants est un principe qui ne
pose pas de problèmes puisque cette égalité est effective. Cependant, pour les
citoyens migrants non actifs économiquement, le principe d'égalité de traitement
n'est pas toujours acquis. Au départ, l'Union Européenne est exclusivement une "Europe économique": le
Traite de Rome de 1957 n'a donc consacré le principe de libre circulation des
personnes qu'à l'encontre des travailleurs. Depuis le Traité de Maastricht de
1992 et la reconnaissance de la citoyenneté européenne, ce principe voit son
champ d'application s'ouvrir aux citoyens de l'Union Européenne. Cette avancée
certaine dans les droits des citoyens de l'Union ne permet cependant pas de
permettre une égalité parfaite entre les travailleurs communautaires et les
autres citoyens non travailleurs. En effet, dans la pratique, les travailleurs
auront souvent des conditions de séjours différentes de celles des autres
citoyens. De façon générale, les droits de ces deux catégories de personnes
auront des dissemblances en faveur des travailleurs.
Le principe de l'égalité de traitement comme finalité de l'UE
L’ambition véhiculée par le droit social de l'UE implique que les citoyens
de l’Union résidant légalement dans un autre État membre ne doivent pas être
traités de façon différente et discriminatoire par rapport aux nationaux dudit
État. Le principe d’égalité de traitement découlant de l'UE implique donc que
les citoyens de l'union qui vont dans un autre Etat Membre devraient avoir droit
aux prestations sociales, aux avantages sociaux et fiscaux et à l’assistance
sociale qui sont déjà disponibles dans l’État membre d’accueil pour ses
ressortissants nationaux. L’assistance sociale comprend en fait l'ensemble des
«allocations de subsistance», qui ont pour objectif non seulement d'assurer les
besoins élémentaires des individus mais aussi de permettre de faire face à des
circonstances particulières de la vie.
C'est le droit primaire qui a entériné le principe de l'égalité de
traitement avec l'article 18 du TFUE. Ce principe implique une “interdiction
générale de discrimination en raison de la nationalité”. Mais, en droit dérivé
avec le Règlement 883/2004, à l'article 4, et la directive 38/2004, à l'article
24, on constate que l'égalité de traitement liée à la liberté de circulation des
personnes est limitée. L'article 24 de la directive précise que les citoyens de
l'Union bénéficient de l'égalité de traitement par rapport aux citoyens
nationaux. Cependant, l'Etat membre d'accueil est en droit de refuser l’octroi
de prestations sociales. La finalité première des prestations sociales était en
effet de permettre « une pleine assimilation au travailleur migrant » par
rapport aux nationaux.
En effet, le droit de l'UE prenait en considération les difficultés
économiques que ce nouveau citoyen non actif pouvait potentiellement générer en
arrivant dans l'Etat Membre d'accueil. Même si la libre circulation des
personnes est un principe fondamental en droit de l'UE, des personnes circulant
sans, in fine, exercer un travail dans l'Etat Membre d'accueil ne devraient pas
devenir une "charge financière excessive" pour l’État membre d’accueil. Pour
éviter des abus en la matière, des règles précises ont été établies pour
encadrer ce principe d'égalité de traitement. Ce principe est donc assoupli pour
pouvoir s'adapter à chaque situation spécifique qui découle de l'arrivée d'un
citoyen européen dans un nouvel Etat Membre. Au final, cet assouplissement a
pour but de concilier égalité de traitement et adaptation au cas d’espèce.
Les droits sociaux vont en fait être octroyés en fonction de règles bien
précises qui ont été dictées par le droit européen. Pendant les trois premiers
mois de résidence dans l'Etat Membre d'accueil et si le citoyen européen
n'exerce pas une activité économique, l'Etat Membre d'accueil a la possibilité
de ne pas mettre en application la législation de l'Union sur l'égalité de
traitement en matière sociale : il a le droit durant ce court séjour de ne pas
faire profiter le citoyen du droit à l'assistance sociale. Cette
"discrimination" vis à vis des nationaux est donc légale ici.
Si ce citoyen non actif économiquement prolonge son séjour de plus de trois
mois, dans la pratique, il n'aura pas forcément non plus de prestations
sociales. L’État Membre peut décider d’autoriser une aide sociale que si des
critères spécifiques sont remplis et démontrés par le citoyen de l'Union.
Cependant, l’État membre ne peut pas exprimer un refus systématique d'octroyer
des prestations à un ressortissant non actif. Les autorités nationales doivent
apprécier chaque situation en prenant en considération un faisceau d'indices
comme la charge du citoyen pour le système d'assurance nationale, la durée du
séjour ou comme le caractère temporaire de la difficulté. Les autorités
nationales ont donc la possibilité de décider après cette évaluation que le
citoyen est devenu "une charge excessive" pour l'Etat Membre d'accueil. Le
citoyen peut donc voir son droit de séjour s'éteindre subitement. Les critères
que le citoyen doit remplir passé les trois mois pour bénéficier d'un droit de
séjour sont donc très variées. Ces critères comprennent notamment l'exercice
d'une activité économique, le statut d'étudiant ou la disposition de "ressources
suffisantes" et d'une assurance maladie.
Dès 5 ans dans l'Etat Membre, les citoyens de l’Union se voient autoriser
un droit de séjour permanent : un octroi de prestations sociales pourra alors
être réclamé de la même manière que pour un ressortissant de l'Etat Membre
d'accueil. Le régime du droit de séjour permanent ne peut faire l'objet d'aucune
exception.
Il existe aussi une situation intermédiaire qui ne correspond ni aux
travailleurs communautaires ni aux citoyens non actifs : c'est celle des
demandeurs d'emplois. La Cour a expliqué à travers l’arrêt Royer du 8 avril 1976
(affaire C-48/75) que les ressortissants de l’UE disposaient d'un droit de
séjour si leur objectif était de rechercher une activité économique qu'elle soit
salariale ou indépendante. Dans l’arrêt Collins du 23 mars 2004 (affaire
C-138/02), la CJUE a dit que, en vertu du principe de citoyenneté, une
prestation sociale qui aide la personne à trouver un travail dans l'Etat Membre
d'accueil, était soumise au principe d'égalité de traitement.
L’article 24 § 2 de la directive de 2004 permet à l’Etat membre d’accueil
de refuser d'octroyer des prestation d’assistance sociale pendant les trois
premiers mois de séjour, et au-delà pour les demandeurs d'emplois. Cet article
contredit donc la Cour de Justice. La CJUE a donc apporté une solution en 2009
dans les affaires Vatsouras et Koupatantze(C-22/08 et C-23/08) du 4 juin 2009.
Pour la Cour, les prestations des demandeurs d'emploi ne sont pas touchées par
la dérogation à l’égalité de traitement de l’article 24 de la directive. Toutes
les prestations qui sont relatives aux demandeurs d'emploi doivent répondre au
principe de l'égalité de traitement. Un « lien réel » entre le demandeur
d’emploi et le marché du travail peut toutefois être imposé par l’Etat
d’accueil.
Au final la portée de la dérogation au principe d'égalité de traitement est
très réduite : donc la directive 2004/38 évoque des limites et la Cour réduit
encore ces limites. On voit donc jusqu’où la Cour est prête à aller pour ouvrir
davantage l'accès aux avantages sociaux. Cependant, le problème qui subsiste est
que les Etats membres restent tiraillés entre le respect du principe d’égalité
de traitement et la peur du « tourisme social ».
Enfin, on voit que la Cour veut vraiment étendre la notion d'avantage
social pour élargir la libre circulation des personnes et ainsi permettre une
égalité de traitement.
L'égalité de traitement facilitée par l'extension de la notion d'avantage social
L'arrêt Hartmann du 18 juillet 2007 (212/05) touche à la question de
l'exportation des prestations sociales à des non résidents. Cette exportation
n'est en principe pas souhaitée par les Etats membres car pour eux il s'agit de
donner des prestations sociales à des travailleurs de leur pays mais qui n'y
résident pas. Le droit dérivé encadre ces exportations. Le règlement 1408/71
réserve le bénéfice des prestations sociales non contributives aux résidents des
Etats Membres. Mais le règlement 1612/68 prévoit la non discrimination entre
travailleurs dans l'accès aux avantages sociaux. Pour la cour, ce règlement
1612/68 a une portée générale et s'applique à des avantages sociaux qui relèvent
en même temps du champ d'application spécifique du règlement 1408/71. La Cour
l'a dit dans un arrêt du 10/03/1993 commission/luxembourg (111/91) dans le point
21. En l'espèce, M. Hartmann ressortissant allemand a déplacé son domicile en
Autriche en maintenant son activité professionnelle en Allemagne. Mme Hartmann,
sans emploi, a demandé l'octroi de l'allocation d'éducation, une prestation qui
lui permettrait d'assurer l'éducation des enfants. Cette allocation lui est
d'abord refusée au motif qu'elle ne réside pas en Allemagne et qu'elle n'y
travaille pas. Dans l'objectif de permettre l'égalité de traitement, la Cour a
interprété largement la notion de "travailleur communautaire" et d"avantage
social". L'égalité de traitement est une prérogative des travailleurs. C'est
pour cette raison que la Cour a interprété largement la notion de "travailleur
communautaire".
Initialement, c'est le déplacement vers un autre Etat Membre pour exercer
une activité professionnelle qui est par définition considéré comme de la libre
circulation des travailleurs. Dans cette situation, l'individu est qualifié de
"travailleur communautaire". Dans l'arrêt hartmann, c'est le déplacement non pas
du travail mais du domicile qui est réalisé ce qui pose des questionnements sur
la qualification de la situation. Pour la Cour, ce déplacement de domicile
suffit à qualifier M hartmann de "travailleur communautaire". La Cour considère
que comme une fois le transfert de domicile effectué, le ressortissant effectue
bien une activité professionnelle dans un autre Etat Membre, la qualification de
travailleur communautaire se justifie malgré tout.
Elle a aussi interprété largement la notion d"avantage social" car
l'égalité de traitement ne peut être élargie aux membres de la famille du
travailleur que si la prestation sociale est un "avantage social" pour le
travailleur. Donc après une interprétation large de la notion de travailleur
communautaire pour que M. hartmann bénéficie de l'égalité de traitement, la
notion d'avantage social est interprétée de manière extensive pour que l'égalité
de traitement soit étendue à Mme hartmann.
Initialement, l'avantage social n'est possible que s'il est lié à la
qualité de travailleur. Pour la Cour, en l'espèce c'est bien un avantage social
qui est réclamé par Mme Hartmann car in fine, (point 26) elle est susceptible de
"diminuer l'obligation qui pèse sur les travailleurs de contribuer aux charges
de la famille" : un Avantage social peut être indirectement lié au
salarié.
Enfin, on voit que la Cour a voulu élargir l'exportation des avantages
sociaux. Pour la Cour, il n'y a pas forcément besoin de résider dans l'Etat
Membre pour pouvoir bénéficier des avantages sociaux. Le travail peut suffire.
La Cour veut éliminer toutes formes de discriminations. Donc, ici, l'octroi
d'avantages sociaux se justifie par la contribution significative au marché du
travail par M hartmann. La Cour apporte donc une exception au règlement 1408/71 qui réservait les avantages sociaux aux résidents exclusivement. L'arrêt
Hartmann n'est pas un cas isolé puisque d'autres arrêts ont complété l'arrêt
hartmann par des rappels notamment. D'après l'arrêt du 11 juillet 2002
(C-224/98) d'hoop, la Cour reconnait aux citoyens du droit de bénéficier de
l'égalité de traitement en matière d'avantages sociaux dans l'Etat Membre
d'accueil si ces citoyens parviennent à prouver l'existence d'un "lien réel
d'intégration" dans cet Etat Membre d'accueil. Dans l'arrêt geven du 18 juillet
2007 (C-213/05) la Cour de Justice rappelle que l'exportation des avantages
sociaux est possible grâce à une contribution significative au marché du
travail. Donc, l'idée de l'arrêt Hartmann qu'un citoyen non résident peut
bénéficier des avantages sociaux grâce à son activité économique est soulignée
de nouveau. Enfin, avec l'arrêt hendrix (C-287/05) du 11 septembre 2007, la Cour
de Justice affirme un refus d'exportation d'avantages sociaux car en l'espèce il
n'y a pas de lien étroit au "contexte socio économique" de l'Etat Membre
concerné.
A la lecture de la jurisprudence de la CJCE, on constate que la politique
de l'égalité de traitement entre migrants ressortissants d'un État membre et
nationaux s'illustre par la place non négligeable qu'occupe la jurisprudence sur
les avantages sociaux . En effet,cette jurisprudence permet une protection
sociale plus efficace. Par ailleurs, la conception extensive des avantages
sociaux, permet à ces derniers de voir leur champ d'application s'ouvrir et donc
de s'affranchir de leur rôle d'origine, à savoir garantir l'égalité de
traitement aux travailleurs pour les conditions d'emploi et de travail. À
travers sa conception des avantages sociaux, la CJCE montrerait donc le passage
d'une “Europe des travailleurs à une Europe des citoyens”.
sources utilisées :
L’égalité de traitement en matière de prestations sociales
dans l’Union européenne, au regard de l’ordonnance du Bundessozialgericht (B 4
AS 9/13 R) du 12 décembre 2013, par Mélanie Reuter Soumis par Regis Chemain le
10/04/2014
2. Assistance et prestations sociales :
http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-1041_fr.htm
Les avantages sociaux en droit communautaire — Lhernould
Jean-Philippe — Droit social 1997. 388